Enseigner oui mais quoi?

La grande question qui me taraude quand je prépare mes cours : qu'est-ce que mes apprenants doivent savoir et ainsi qu'est-ce que je dois leur enseigner? La réponse à cette question est multiple, mouvante et se trouve chez les apprenants eux-mêmes: ce qu'ils veulent apprendre. C'est amusant de voir une notion, un mot, une expression que j'avais jugée intéressante à connaître pour un apprenant à un moment donné, flotter dans l'air sans trouver d'écho, ne pas être reprise ni notée par mon vis-à-vis en dépit de mon insistance (que j'essaie de garder discrète) avant de retomber dans l'abîme des oubliettes. Je m'empresse alors de la récupérer et de la chouchouter pour la ressortir à un moment plus opportun! Je conçois le cours comme un moment d'échange qui comprend son lot de communication phatique, indispensable car naturelle avant d'amener mes, plus souvent mon apprenant vers le sujet (sémantique ou grammatical) que je veux aborder. Et c'est là que le choix de ce dernier doit être judicieux, logique pour que le cours ne subisse pas de rupture, pas de virage à 90° ou plus mais conserve sa fluidité.
Qu'est-ce que mes apprenants ont besoin d'apprendre ? Que dois-je leur enseigner ? Ce qui va leur être utile, les mots que leur entourage va leur dire, ceux qu'ils entendront à la télé, à la radio, ceux qu'ils ne seront capables de voir sur les affiches croisées en ville que parce que nous en aurons parlé ensemble : le cours qui devine, anticipe, décille les yeux sur le monde en français. Alors bien sûr, je colle à l'actualité mais elle est plurielle et offre le choix. Et parce que chacun est différent, je choisis un autre article, un autre thème, un autre angle de vue. Et parce que j'attends de chaque cours quelque chose de différent, je varie.
J'enseigne des mots, petites briques à assembler pour s'exprimer, se justifier, nuancer. Nous les accordons, déclinons, conjuguons, plions pour décrire, raconter, fêter ou déplorer. Il n'y a qu'une chose que nous ne puissions faire : les vider de leur sens. Un mot, c'est l'alliance indissociable d'un graphisme et d'un sens. On ne peut pas en proférer un sans avoir l'intention aussi d'en exprimer la signification. Ni pour un hymne national, ni pour un exercice grammatical.
Quand la semaine dernière avec P. nous pratiquions le futur simple des verbes irréguliers, elle devait mettre au futur simple ma phrase qui était au futur proche. Les verbes « courir et mourir » font partie des irréguliers car leur « i » au futur a dû tomber un jour, impuissant devant l'attraction des deux « r » impatients de se retrouver. Ma dernière phrase à transformer ainsi était « Je vais mourir ». Dans un réflexe de survie, elle m'a rétorquée sans la moindre hésitation : « Tu mourras ».